Genève ferme les yeux sur les femmes de ménage sans-papiers
La pénurie justifie le recrutement de clandestins, selon les autorités. Les employeurs ne sont pas inquiétés, renvoyés à leur seule responsabilité morale
Plusieurs milliers de contrôles. La construction et l'hôtellerie-restauration ont été les secteurs les plus inspectés en Suisse en 2011, selon le Secrétariat d'Etat à l'économie. Et pourtant, ce ne sont pas les seuls à recruter des sans-papiers. Les particuliers recourent régulièrement à des femmes de ménage au noir: dans les services domestiques, «une partie significative» des travailleurs n'est pas déclarée, reconnaît l'Office cantonal de l'inspection et des relations du travail (OCIRT) à Genève. Mais pour ce secteur, pas question de faire de «chasse aux sorcières», ajoutent les autorités. La difficulté à s'introduire chez les privés pour effectuer des contrôles explique en partie cette passivité. Mais l'office invoque surtout le manque de main-d'œuvre. «C'est le seul secteur où la pénurie est réelle», affirme Laurent Paoliello, secrétaire général adjoint du Département de la solidarité et de l'emploi (DSE). Aucun contrôle n'est mené volontairement, à moins qu'un autre délit n'ait été commis.
Tant que l'employeur respecte les salaires minimaux et paie les assurances sociales, il ne risque pas de s'attirer les foudres des autorités, reconnaît l'OCIRT. «L'employée déclarée régulièrement à l'AVS verra ses démarches de régularisation facilitées», précise l'office.
La pénurie justifie donc l'emploi de clandestin, même si «cette pénurie tend à diminuer avec la crise en Espagne et au Portugal qui amène certaines ressortissantes européennes à envisager un retour en Suisse», admet l'OCIRT.
Un laisser-aller qui révolte Marc Espirito, directeur régional de Putzfrauenagentur, entreprise spécialisée dans le nettoyage. «Ce n'est pas vrai qu'on ne trouve pas de femmes de ménage en situation régulière. Je n'ai jamais eu de soucis pour en trouver. Je recrute autant de Suissesses que d'étrangères avec permis de travail. Tout dépend des conditions de travail que vous offrez. Il y a de nombreuses mères en Suisse qui aimeraient travailler quelques heures par semaine, dans le créneau horaire de leur choix. Il faut offrir des conditions de travail valorisantes pour recruter des travailleurs légaux», rapporte le directeur, qui compte désormais 300 clients en Suisse romande depuis l'ouverture de l'antenne de Villeneuve en janvier 2011.
Une question de salaire? Pour engager une femme de ménage chez Putzfrauenagentur, déclarée et formée, il faudra débourser 39 francs de l'heure. On est loin des 18,60 francs prévus par le contrat type de travail, entré en vigueur en 2011. «Mais ce minimum, c'est lamentable!» s'enflamme Marc Espirito.
Anne-Cécile, mère de famille, a opté pour une femme de ménage portugaise, indépendante mais déclarée pour 26 francs de l'heure. «Une question de principes», explique-t-elle. Mais nombreux sont ceux, comme Benjamin, qui ont compris qu'ils ne risquaient guère d'être inquiétés. «Je paie une Brésilienne au noir, 25 francs de l'heure. J'ai pensé à la déclarer, mais elle est satisfaite du salaire et je ne tenais pas à dépenser davantage.»
En moyenne, les employées de maison sont rémunérées 22,50 francs de l'heure à Genève, selon les chiffres de Chèque service datés de juin. 32% des employées gagnent entre 19 et 22,50 francs. Elles sont 8% à gagner moins de 19 francs. En fait, le salaire moyen diminue quand le nombre d'heures de travail augmente. Voilà les statistiques des employeurs, de bonne volonté, qui ont inscrit leurs femmes de ménage à Chèque service. Comme Chèques-emploi dans les autres cantons romands, ce système permet aux employeurs de payer les charges sociales de leurs femmes de ménage, même si elles ne possèdent pas de permis. La fondation privée n'a aucune idée du statut des employés. «40% sont extraeuropéennes. On peut imaginer que 2/3 d'entre elles sont clandestines», estime le Département de la solidarité et de l'emploi de Genève.
Chèque service gère désormais 4800 contrats, soit 300 de plus qu'à la fin de 2011. Mais ce chiffre reste encore marginal par rapport aux 30 000 emplois que compte le secteur de l'économie domestique à Genève, selon les estimations du syndicat SIT (3300 emplois déclarés selon les dernières statistiques officielles datées de 2008). La plupart des femmes de ménage sortent donc de tout radar. «La meilleure chose, c'est de les régulariser. Sinon leur sort ne dépend que de la responsabilité morale de l'employeur», regrette Anne Rubin d'Unia. «L'Etat y travaille, en partenariat avec Berne», promet l'OCIRT .
Par Sandrine Hochstrasser