Economie domestique
Les femmes de ménage enlisées dans le travail au noir
En Suisse, quelque 80 000 femmes de ménage ne seraient pas déclarées. Une entreprise, sise sur Vaud, veut contrer cette tendance
Crisitina se confie sans lâcher son chiffon. Elle astique l’évier, s’empare énergiquement de l’aspirateur, et déplace aussi vite son bébé de 6 mois dans une autre pièce. Deux heures de ménage par semaine dans cet appartement, et quatre dans un autre foyer lausannois permettent à cette Portugaise de 25 ans de gagner le minimum avant de trouver un meilleur emploi. «Je suis déclarée par un seul de mes patrons. Les deux me paient 25 fr. l’heure, mais quand je suis déclarée, il ne me reste que 20 fr. Alors je préfère être au noir.»
Placardées dans les rues lausannoises, des affiches au nom de Putzfrau.ch annoncent une nouvelle venue dans le milieu. Cette entreprise entend contrer le travail illégal en mettant à disposition des femmes de ménage formées, titulaires d’un titre de séjour, tout en gérant les démarches administratives pour les déclarer. Un carton en Suisse allemande puisque 10 000 foyers ont déjà adhéré au concept. «Nous voulons créer des conditions acceptables pour ces femmes de ménage et lutter contre le travail au noir, explique Marc Espirito, responsable romand. Les gens ne se rendent pas compte des Risques qu’ils prennent à ne pas les déclarer. Et ils ne leur rendent pas service puisqu’elles n’ont droit à aucune assurance sociale.» Mais la légalité et le service sur mesure de Putzfrau.ch ont un prix: 39 fr. l’heure. En moins de six mois, l’entreprise a quand même convaincu 120 clients vaudois et genevois.
Déclarées, une minorité
En Suisse, sur les 125 000 femmes de ménage actives, 65% travailleraient au noir. Une estimation réalisée par le syndicat Unia après recoupement de plusieurs études sur le sujet. Depuis le 1er janvier 2008 et l’entrée en vigueur de la loi sur le travail au noir, la lutte s’est, certes, renforcée. Mais les contrôles restent délicats (lire encadré) et le travail au noir bien implanté dans les mentalités. L’utilisation des chèques-emploi, qui facilitent le paiement des assurances sociales par l’employeur, a augmenté dans le canton de Vaud. L’an dernier, 3400 employeurs utilisaient ce système. «La lutte contre le travail au noir des femmes de ménage fait son chemin», constate Clotilde Fischer, responsable vaudoise du projet chèques-emploi à l’Entraide protestante (EPER).
Mais les employées de maison déclarées restent une minorité.» Dans les petites annonces, les offres de femmes de ménage pullulent. Sur une dizaine contactée, la moitié se révèle sans papiers. Neuf sur dix affirment travailler au noir. Maria, Portugaise de 43 ans, n’a que ce job pour survivre. «Je ne peux pas travailler à la Migros parce que je ne sais pas calculer. C’est la honte. Alors je fais le ménage. Je préfère être déclarée, mais, si je n’ai pas assez de travail, j’accepte aussi au noir. Ce qui est bien quand le travail est légal, c’est qu’on est plus cool, on n’a pas peur que les voisins nous repèrent. Les patrons, eux, ils préfèrent qu’on soit au noir. Souvent, ils disent: «C’est plus simple pour tout le monde.» Des employeurs sans scrupule, mais pas seulement. Plusieurs femmes confieront clairement préférer travailler au noir par appât du gain. Parfois par peur. Un sentiment qui règne dans la discrète nébuleuse des femmes de ménage sans papiers. Pour Clotilde Fischer, c’est toute l’importance de la formation. «Il faut sensibiliser au maximum les femmes de ménage et leur expliquer pourquoi elles doivent avoir une couverture sociale et l’AVS.Y compris pour les sans-papiers. C’est pour cela que nous organisons des cours.» Un calcul avantageux sur le long terme, mais parfois difficile à percevoir au jour le jour. «Certains employeurs râlent car ils doivent payer les charges sociales. Alors ils paient moins l’employée de maison, pour qu’elle participe aux cotisations.»
Cumuler les employeurs
Le travail au noir, une sombre et discrète économie qui pousse certaines vers l’esclavagisme. Tatiana l’a vécu: un salaire de 800 fr. par mois pour un poste à 100% dans une famille. Dans un parc lausannois, la Moldave de 37 ans confie devoir cumuler les patrons pour arriver à 8 heures de nettoyage par jour, 5 journées par semaine. Etre déclarée? Elle y a à peine songé. «Comme beaucoup d’autres», glisse-t-elle. «Moi, quand j’ai besoin d’argent, je viens quelques mois en Suisse. Ensuite, je repars. Tout le monde fait ça dans les pays de l’Est». Tatiana n’est plus dupe, elle ne travaille pas à moins de 25 fr. l’heure. Mais elle connaît l’âpre guerre entre les pros du nettoyage. «Il faut être très douée et rapide, Parce qu’il y a beaucoup de concurrence. Certaines cassent les prix, jusqu’à10 fr. l’heure.» Cette année, Tatiana a décidé de raccrocher. «Les Suisses ne veulent pas faire ce travail, mais nous, on le paie avec notre santé.»
Pascale Burnier Textes